31 décembre 2015

Shégués, enfants du silence

     Titre : Shégués, enfants du silence
     Auteure : Jeannine Valignat
     Editeur : Wallâda éditions (Marignane)
    Genre : Livre-Témoignage

             Voici un livre qui dérange. Ni une biographie, ni une autobiographie, encore moins un roman, mais à coup sûr, une errance stupéfiante sur les chemins de l’humanisme, de la générosité, du dévouement « à la rencontre de l’autre ».
           Après « Djetty la Manouche », Jeannine Valignat brise un silence que nos sociétés ne peuvent occulter. Celui des enfants des rues en Afrique, celui des enfants dits « sorciers » qui fuient,  épouvantés, la violence des adultes, les persécutions et la mort.
          Le récit de Jeannine Valignat n’est pas linéaire. Sa construction s’appuie sur des jours de la semaine, se permet de nombreuses digressions champêtres au bord de l’eau qui apaisent et ressourcent, de passages poétiques. Et en permanence, elle tutoie le lecteur, comme pour mieux le convaincre de la véracité de ses témoignages.
          L’auteure est militante de l’association « Droits des étrangers » à Nantes. Ces bribes de vie qu’elle nous dévoile pourraient être recueillies dans beaucoup de grandes villes françaises ou européennes. D’emblée, sa façon ouverte de présenter ces visages nous les rend sympathiques : la petite Assiatou, de 6 mois, que sa mère a emmenée de Guinée pour lui éviter l’excision, Glany, congolais de 15-17 ans dont on reparlera, Kadima, Lic, Massamba, Nana, une jeune Nigériane de 16 ans, menacée par les prêtres vaudou et droguée pour être prostituée, Okwa, Kwaho, un Nigérian encore, émasculé parce qu’homosexuel, Rusen, la petite mongole, Nina, des Roms du Kosovo dont personne ne veut, la maman Azérie qui a fui les persécutions  en Arménie et tous ceux de Palestine, Tchétchénie, Ukraine, Mongolie, Syrie, Congo, Nigéria à nouveau qui ont fui la guerre civile, les camps en plein désert, les dictatures  impitoyables de Kabila en RDC ou Bachar-el-Assad de Syrie ou la démence religieuse de Boko Haram.
          Jeannine Valignat nous montre, avec précision, comment il faut surmonter les normes de l’administration française, souvent sujettes à caution, comme les contestables tests osseux, combattus par la médecine, car les résultats peuvent se tromper de 2-3 ans et classer un enfant de 15 ans comme adulte, ce qui lui enlèvera la possibilité de bénéficier de la Charte des Droits des Enfants. Elle montre aussi la difficulté de protéger des enfants de la rue, de loger des familles avec enfants, de monter un dossier crédible pour l’OFPRA qui délivre le droit d’asile pour des réfugiés qui n’ont rien emporté.
          Maintenant, parlons du jeune Glany dont le témoignage a mis à jour des pratiques courantes et révoltantes sur les enfants en République Démocratique du Congo, si ce pays peut réellement s’appeler « démocratique ».
            Il y a d’abord, les cas nombreux, d’enfants en détresse fuyant la cruauté des soldats ou des sectes et « récupérés » par de pédophiles qui ensuite en abusent. Et puis avec force, dévoilons l’existence honteuse et abominable des prétendus « enfants sorciers ».
            De quoi s’agit-il ? Des pasteurs évangélistes, dits de l’Eglise du réveil, des Pentecôtistes, font croire aux parents crédules que leur enfant est possédé, qu’il a le mal en lui, qu’il peut tuer leurs parents pendant la nuit, porter malheur à la famille (Chômage, maladie…) et même aux voisins. Ils leur font croire qu’ils ont conçu des enfants « sorciers ».
           Les parents prennent peur, les voisins aussi et ces enfants sont rejetés impitoyablement. Ces pasteurs sensés parler avec Dieu sont crus et proposent aux parents de désenvouter ces malheureux, à condition d’y mettre le prix.
          L’exorcisme est redoutable. Des enfants tout petits que l’on entoure de  cierges et qui meurent brûlés vifs sous les yeux de leurs parents. A d’autres petits innocents, on fait avaler des litres d’huile de palme pour les obliger à regorger le diable qui est en eux, d’autres sont enchainés et battus jusqu’à ce qu’ils avouent la présence du diable en eux. Beaucoup meurent sous les coups. S’ils échappent à la mort, ils finissent à la rue, rejetés et craints de tous parents, voisinage et société. Ils prennent le nom de "shégués", enfants des rues. Les filles se prostituent pour survivre, les garçons volent.  Commence, alors, la chasse aux enfants des rues. Elle est terrible.
         Ces pasteurs, terme bien inapproprié, sont riches. Ils roulent en voiture de luxe, habitent de belles demeures et sont autant respectés que craints. Le bras droit du sinistre président de RDC, monsieur Kabila, est un de ces pasteurs.
          La population a peur, car les shégués, enfants des rues, sont assimilés aux enfants « sorciers », aux pouvoirs surnaturels,  croit-on.  La police et l’armée entrent en action. Ils sont battus, torturés, violés, tués à bout portant, sans procès. Des milliers d’enfants ont été ainsi exterminés en RDC depuis 1990. Un certain colonel Kaniama, baptisé « Esprit de la mort » en a fait sa spécialité…
          Comment s’étonner alors que les jeunes les plus instruits, courageux ou débrouillards,  fuient ces pays et tentent, coûte que coûte, de rejoindre des contrées plus protectrices  qui respectent les Droit de l’Homme.
             L’Unesco, l’Unicef connaissent ces situations mais l’opinion et la plupart des dirigeants ne réagissent pas. Pétrole et minéraux rares en sont-ils la cause ?
            Revenons à Glany. Voulant étudier à tout prix, il sera inscrit dans un lycée technique. Bien plus tard, il obtiendra le droit d’asile et  il apprendra que sa mère, son frère et sa petite sœur, sont en exil dans un autre pays européen.              Opposant politique au président Kabila du Congo (RDC), le père de Glany a été assassiné, ses enfants battus et apeurés, sa mère violée et menacée. Voilà les vraies causes de leur exil.
             Récit de grande qualité, force de caractère de l’auteure et souvent, doute, méditation au contact de la nature, mais toujours, volonté d’aller de l’avant.
          Il est fort possible que le dévouement et le refus  viscéral de toute injustice  de Jeannine Valignat aient pris source, à l’adolescence, face à un père violent et injuste pour les  siens.

        Jeannine Valignat, invitée par le Centre Francophonie de Bourgogne, a participé aux 4èmes Rencontres de la Diversité, au Creusot, les 26/27/28 novembre 2015, où nous avons découvert son œuvre et son engagement.                            ----------------------------------
Jeannine Valignat intervenant lors d'un débat (4èmes Rencontres de la diversité)
Citations
            « Nous ne trouvons jamais assez de temps pour réfléchir, pour que notre pensée s’enrichisse de la pensée des autres, pour que les idées germent, pour les faire circuler » (p. 131)
           « Parler est douleur pour chacun d’entre eux. Ils ont besoin d’oublier. La moindre question écorche une mémoire déjà à vif, fait remonter le chagrin des deuils, la vision terrifiante des exactions subies ou celle tout aussi brutale des violences vécues sous leurs yeux. » (p.134)
           «  Souvent, ils sont tellement troublés qu’ils se trompent sur les dates, les lieux, mélangent les noms, car la souffrance refuse toute image trop crue, trop abrupte. La vérité fait mal. Le flou est rassurant. » (p. 141)
           « Nous le savons, la lutte des femmes africaines contre ces mutilations (excisions) ne peut aboutir tant est violente l’emprise de l’actuel fanatisme religieux, toutes religions confondues. Pour protéger leur enfant, certaines choisissent de fuir vers l’Europe » (p. 154)
            « Je suis sans illusion, ni la France, ni l’Europe ne reconnaîtront leur part de responsabilités dans les véritables causes des tensions religieuses ou politiques qui engendrent ce flux migratoire. Ce serait admettre les méfaits d’un libéralisme sauvage dont nos pays s’accommodent aisément. Ce serait accepter de regarder en face les conséquences de la guerre en Irak et celles du soutien à toutes les dictatures mises en place (ou acceptées) en Afrique ou au Moyen Orient » (p. 161)
             « Quel homme politique aura enfin le courage de défendre l’idée de richesse humaine que représentent ces populations en fuite ? » (p. 161)
             « Il est urgent que chacun prenne conscience de l’appel au secours de L’Afrique, du Moyen Orient, des Balkans. » (p. 163)
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Jeannine Valignat
Jeannine Valignat est née à Sète. Elle découvre le théâtre à 5 ans avec ses grands-parents, en regardant Carmen de Bizet, dans les arênes de Béziers.
               Ecrivain, metteuse en scène, conteuse, elle est aussi militante des Droits Humains et, à ce titre, engagée dans un combat contre toutes les formes de discrimination. « Les mots sont mes seules armes », dit-elle.
              Parmi plus de 30 pièces de théâtre, citons, en vrac: Exil, La Trêve, Arrête-toi là et dors, Saada, Joseph Glidden ou la banalité du mal,  certaines ont marqué le public par la force de l’écriture,  l’originalité d’une mise en scène sobre et efficace, laissant toute sa place au jeu des acteurs.
             Son imaginaire prend appui sur la réalité du monde d’aujourd’hui. Elle se veut témoin de son temps. Dans son écriture de conteuse, l’élan poétique, la fiction sont toujours une invitation à la réflexion politique, au questionnement sur l’état de la société.
« Djetty la manouche » à propos des Gens du Voyage. « Le dernier chant de Mangawonish » à propos de la disparition de la banquise et du sort des indiens Inuits. Son dernier livre « Shégués, enfants du silence » est le vécu d’une militante, témoin  du sort des mineurs étrangers.
Jeannine Valignat contant à l'école la Pépinière, Le Creusot
            Avant « Shégués, enfants du silence », elle avait publié « La braise » pour témoigner de sa passion pour le théâtre qui l’a toujours nourrie. Ne dit-elle pas que « La Braise est quelque chose qui est là, qui ne s’éteint pas, et sur laquelle il suffit de  souffler un peu pour que tout s’enflamme… ».
 Assurément une femme de conviction.

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